Un colonel de 26 ans


Notre ancêtre direct Pierre-Elophe Fontaine était l'époux de Thérèse Barjonnet, née à Vittel (Vosges) en 1730. Elle était la petite-fille de Symphorien Barjonet (ou Barjonnet), et la cousine issue de germain de Claude-Louis Barjonet. Méconnu, cet officier supérieur est mort, très jeune, dans l'île de Saint-Domingue (Haïti), au cours d'une des expéditions militaires mises sur pied durant la Révolution et le Consulat.

Claude-Louis Barjonet naît à Vittel (paroisse Saint-Privat) le 25 août 1768. Il est le fils de Nicolas Barjonnette (sic), notaire, et d'Anne-Rose Vincent, le filleul de Claude-Nicolas Barjonnette et d'Anne Mangeot.
Selon Charles Chapia («Vittel», 1877), il fait des études au séminaire de Toul, «où il s'est fait remarquer par ses talents». Mais la Révolution éclate, et, clerc de notaire, il s'engage en août 1791 dans le 4e bataillon de volontaires nationaux des Vosges, où, sans avoir jamais servi dans l'armée, il est élu par ses concitoyens capitaine, le 28 août. Le 28 novembre 1791, alors qu'il n'a que 23 ans, il passe comme lieutenant-colonel en second au 5e bataillon des Vosges, dont il devient, le 1er mai 1793 (selon ses états de services ), lieutenant-colonel en premier.

Initialement, ce bataillon était commandé par le lieutenant-colonel Pierre du Baud (ou du Baut), âgé de 66 ans. Organisé le 28 novembre 1791 à Epinal, il sert à l'armée des Ardennes, puis se bat notamment, les 21 et 22 avril 1794, près de Nouvion, au sein de l'armée du Nord. Au cours des opérations de cette armée, le 5e bataillon des Vosges, affecté à la division Friant, se trouve être placé sous les ordres de Barjonet qui commande une brigade du corps Bernadotte (le futur roi de Suède) également composée du 2e bataillon du 74e régiment d'infanterie et du 2e bataillon de la Vienne (ainsi que du 1er bataillon du Loiret). Il s'agit précisément des unités qui, le 6 novembre 1794, fusionnent pour former la 138e demi-brigade de bataille. Claude-Louis Barjonet en est nommé chef de brigade (colonel), à l'âge de 26 ans. Ce n'est pas rare à cette époque, mais c'est notable. A cette époque, l'homme est ainsi décrit et noté : « Complexion et moyens physiques : bonne et robuste ; 5 pieds 7 pouces (Note : 1,70 m). Talents et moralité : sachant lire et écrire, d'une bonne conduite. Emploi auquel il paraît propre : propre à commander une demi-brigade ».


Cette demi-brigade prend part aux campagnes de l'armée de Sambre-et-Meuse durant les ans III et IV, avant d'être versée dans la 61e demi-brigade d'infanterie de ligne le 24 février 1796. Le Vittelois en conserve le commandement.


Toujours à l'armée de Sambre-et-Meuse, sous les ordres du général Jourdan, la demi-brigade, dont les 2 431 hommes servent dans la 6e division du général Championnet, participe, le 17 août 1796, à l'attaque des positions ennemies de Sulzbach, où se battent notamment de futurs grands noms du Premier Empire - les généraux Lefebvre, Collaud, Grenier, Ney, Damas, Legrand, Klein... «Les troupes ont combattu avec une intrépidité sans exemple : la 20e demi-brigade d'infanterie légère, la 61e demi-brigade et deux bataillons de la 78e, se sont particulièrement distingués en repoussant, par leur feu, les charges de la cavalerie ennemie», rapporte au Directoire le général Jourdan, qui évalue les pertes ennemies à 1 200 tués et blessés, environ 200 prisonniers.

Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1796, l'ennemi traverse le Rhin et enlève les postes de Boppard, sur le fleuve, au sud de Coblence. Estimant que le chef de brigade Barjonet est responsable de cet échec, le général Beurnonville le suspend. Une décision que le Vosgien conteste d'abord, début janvier 1797, auprès du Directoire exécutif.

Un mois plus tard, Barjonet n'a pas obtenu réponse satisfaisante. Alors, le 6 février 1797, de Paris (où il est logé rue Martin, maison de Lille n°117, en face du théâtre de Molière), il écrit au ministre de la Guerre : «Je vous prierai, citoyen ministre, de vouloir bien prononcer sur mon affaire, ou me permettre d'aller à Vittel, mon domicile (…) où j'y attendrai l'ordre de rejoindre mon corps qui m'attend et que je désire rejoindre au plus tôt.»

Sept jours plus tard, un rapport est envoyé au Directoire exécutif afin «de décider s'il y a lieu, ou non, de renvoyer à la tête de son corps le citoyen Barjonet, chef de la 61e demi-brigade. Cet officier chargé de la défense du poste de Baupart (sic), le jour de l'attaque générale sur Neuwied, l'a laissé enlever sans tirer un coup de fusil. Le général Kléber, commandant l'aile droite de l'armée, l'a fait traduire devant un conseil militaire A la vérité, le citoyen Barjonet a été acquitté, mais ce jugement ne lui a point rendu la confiance du général Kléber qui a demandé au général en chef Beurnonville et a obtenu qu'il fut envoyé sur les derrières de l'armée. Ces faits sont consignés dans une lettre du général Beurnonville au ministre, dont copie est jointe à ce rapport. Il eut été naturel, pour mettre le directoire exécutif à portée de prononcer avec pleine connaissance des causes sur le sort du citoyen Barjonet, d'attendre les nouveaux renseignements que le général Beurnonville annonce avoir demandés au général Kléber et promet d'envoyer au ministre. Mais cet officier ayant sollicité et fait solliciter avec de vives instances le rapport de ces affaires, le ministre n'a pas cru devoir le différer plus longtemps. D'ailleurs, le ministre pense que la lettre du général Beurnonville suffit pour fixer l'opinion du directoire exécutif sur le citoyen Barjonet».


La décision du Directoire, prise le 10 mars 1797, est implacable : «Le citoyen Barjonnet (sic) est autorisé à se retirer dans ses foyers, il sera remplacé dans son emploi». Le Vittelois en prend acte et, le lendemain, il prie le ministre de «vouloir bien [lui] accorder un congé pour [se] rendre dans [sa] famille et y rester jusqu'à ce qu'il [lui] plaise vouloir [le] remettre en activité. Le général en chef Beurnonville vous ayant fait la même demande, j'ose espérer que vous ne refuserez pas celui qui subit avec respect».

Tandis que la 61e est par la suite engagée en Italie, puis en Egypte, le chef de brigade Barjonet ne reste pas longtemps inemployé. Il est désigné pour faire partie de la mission du général Hédouville auprès de Toussaint Louverture à Saint-Domingue (Haïti), mission pour laquelle Hédouville dresse une liste de candidats dès août 1797. Barjonet embarque le 18 février 1798, à Brest, sur la frégate la Sirène, Il accompagne notamment les généraux Pageot et Jean-Bernard Michel, l'adjudant-général Jean-François Ployer, le chef d'escadron Pierre-Alexis Dinteville. Parmi les officiers qui participent à la mission, citons notamment les capitaines Désiré Béchet, Antoine Mollut, Mathias Marchand, Alexandre Meunier, Joseph-François Legall Dutertre, le lieutenant Louis-Auguste Chaumat, l'adjoint aux adjudants-généraux Louis Béchet de Léocour...

Le Vosgien, qui a pour domestique un nommé Pierre Poirier, ne reviendra pas. Selon Charles Chapia, «il périt au moment où il était élevé au poste d'intendant général.»
Cet «homme remarquable par la hauteur de sa taille, sa bonne mine et sa bravoure» (Ch. Chapia) est vraisemblablement décédé avant une autre expédition de Saint-Domingue, celle du général Leclerc en 1802. Claude-Louis Barjonet a sans doute même perdu la vie avant novembre 1799, puisque Danielle et Bernard Quintin ne le recensent pas dans leur dictionnaire des chefs de brigade et colonels du Consulat.


Sources : dossier personnel conservé au Service historique de la Défense ; Charles Chapia, «Vittel».

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